Amorcée en 2013, la réglementation du secteur de la sécurité privée suit son cours. Une vingtaine de sociétés sont agrémentées, neuf cents cartes professionnelles ont été délivrées. Et un diplôme reconnu devrait voir le jour à la fin de l’année.
Par Aude Perron
Il y a quelques jours, Christel Atmawidjaja, gérante de SPS Sécurité depuis 2010, s’est envolée pour Grenoble. Pas pour des vacances, mais pour un CAP de dirigeant d’entreprise de sécurité privée. La facture est salée : 1,5 million de francs, comprenant le coût de la formation qui n’est pas dispensée en Calédonie, le billet d’avion, trois semaines d’hébergement et autres.
Début 2016, un collègue lui emboîtera le pas. « C’est une chance que nous ayons de la trésorerie, sinon je mettais la clé sous la porte », confie Auguste Taieb, associé de SPS Sécurité
En Calédonie, on estime à 1500 le nombre de vigiles, à l’œuvre dans des bureaux, des magasins, des boîtes de nuit, des sites industriels ou sur des parkings. Mais pour encore combien de temps ? Car depuis 2012, le milieu de la sécurité privée, sur l’ensemble du territoire français, a été transformé par une réglementation dont l’objectif est de moraliser et professionnaliser ce secteur économique en plein développement.
A la tête de ce « ménage », le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), un établissement public chargé de l’agrément, du contrôle et du conseil des professions de sécurité privée. Il compte une délégation territoriale en Calédonie depuis deux ans.
Référentiel. Les dirigeants comme Christel Atmawidjaja, les associés de sociétés de sécurité, leurs employés, les entreprises individuelles : tous les acteurs sont concernés et doivent se justifier pour obtenir carte ou agrément. Pour la carte professionnelle, un agent de sécurité doit avoir travaillé 1607 heures entre janvier 2010 et septembre 2013 ou sans discontinuer entre septembre 2012 et 2013.
A défaut, il se doit de passer par la case formation. Le hic, c’est que ce diplôme n’existe pas encore (sauf en formation initiale aux lycées Pétro-Attiti à Rivière-Salée et Johanna-Vakié à Houaïlou). Et n’y accédera pas qui veut : les candidats devront d’abord passer le filtre d’une enquête de moralité.
Mais un « diplôme d’agent de sécurité privée qualifié » s’apprête à voir le jour fin 2015. Un tronc commun d’au moins 140 heures, avec – dès 2016 – des spécialisations dans les autres métiers de la sécurité : agents cynophiles, aéroportuaires, transporteurs de fonds.
Les organismes de formation, eux, sont dans les starting-blocks pour tirer leur épingle du jeu. Trois semaines pourraient coûter au moins 150 000 francs à chaque candidat. Une dizaine se sont manifestés, incluant des sociétés de sécurité qui ont leur propre centre. « lls devront nous faire une proposition pour expliquer avec quels moyens et comment ils vont amener le candidat à acquérir les compétences requises, sachant que ce public peut être assez hétérogène », avertit Dominique Faudet-Bauvais, de la DFPC. Ce dernier estime que deux cents agents auront besoin de ce diplôme.
Facture. « Mais qui va payer ? se demande Eric Ries, chez Le Vigilant. Aujourd’hui, j’aurais quatre-vingts personnes à faire former. Et ce n’est pas le seul coût : je dois aussi les remplacer pendant leur absence. »
Florent Laviano, de Sphinx Protection, abonde dans ce sens. « On ne va pas tout sortir de notre poche, ce n’est pas possible. » Dominique Faudet-Bauvais se veut rassurante : « Ce qui est probable, c’est qu’une partie sera financée par les collectivités. »
Si des inconnues demeurent, les sociétés de sécurité privée voient tout de même d’un bon œil la réglementation et cette carte, perçue comme un passeport. « Je commence déjà à voir la différence. Nos agents sont de plus en plus respectés, confie Florent Laviano. La carte, la formation : cela va tirer nos agents vers le haut. »
Questions à… Didier Josse, chef de la délégation territoriale du Cnaps
« Revaloriser un métier qui en a bien besoin »
Les Nouvelles calédoniennes : quel est l’intérêt de cette réglementation ?
Didier Josse : Le but, c’est de professionnaliser et de moraliser le milieu. Elle présente plusieurs avantages pour les agents de sécurité : avec leur carte professionnelle, ils vont pouvoir exercer dans tout le territoire français.
Elle va aussi permettre de les fixer dans leur profession, notamment ceux qui ont investi du temps et de l’argent dans une formation. Même par dépit, on ne pourra plus devenir agent de sécurité. Cela va contribuer à revaloriser un métier qui en a bien besoin.
Où en est le travail du Cnaps ?
Depuis la création de la délégation territoriale du Cnaps [en septembre 2013, NDLR], nous avons procédé au recensement des sociétés et des agents de sécurité. Aujourd’hui, environ vingt sociétés ont obtenu leur agrément. Il y en a presque autant dont le dossier est en cours de traitement. Les autres ne semblent pas prendre cette réglementation au sérieux. Elles ont tout intérêt pourtant car il y aura des contrôles. Quant aux agents de sécurité, tous ceux qui ont pu valider leurs acquis – il y en a plus de 900 – ont obtenu leur carte professionnelle. Nous avons aussi une centaine d’agents en stand-by : ils doivent suivre la formation, mais avant, leur enquête de moralité doit être positive pour accéder à la formation.
Quels sont les délais pour se mettre dans les clous ?
Tout le monde aurait dû l’être au 1er mars dernier ! Mais il y a un problème, puisque les formations ne sont pas encore accessibles. Cela ne devrait pas tarder et dès que le contenu sera prêt et les centres de formation agréés, il faudra que les professionnels se régularisent rapidement. Sinon, il y aura des sanctions pécuniaires, autant pour l’agent de sécurité que la société qui l’emploie. Pourquoi prendre ce risque alors qu’il est plutôt simple de se conformer ?
Repères
Un métier dévalorisé
Le métier d’agent de sécurité n’est pas des plus glamours, il est même peu attractif. Selon le niveau de qualification, un vigile est payé en moyenne 1000 francs de l’heure, qu’il travaille de jour, de nuit ou pendant le week-end. Bonne nouvelle, la convention collective de la profession va évoluer : en 2016 et 2017 respectivement, les heures travaillées le dimanche et celles de nuit (de 22 heures à 5 heures) seront majorées de 10 %.
Une image à redorer
« Brutes », « cowboys », « voyous » : le métier souffre également d’une mauvaise image. Environ 15 % des membres de la profession auraient déjà eu des démêlés avec la justice, quand ce n’est pas pire, comme le rappelle la tragédie de la Mare ô Diable, en avril 2012. « Ce n’est pas un métier facile, résume Florent Laviano, chez Sphinx Protection. Si on est trop médiateur, le client n’est pas content. Et si on y va trop fort, on a des ennuis avec la police. Mais dans des soirées de deux mille personnes, avec des gens alcoolisés, il y a toujours des bagarres. On ne peut pas faire dans le détail. » Les vigiles sont aussi pris pour faire la basse besogne, comme en témoigne l’affaire du Krystal, en avril 2012, où des videurs de la boîte de nuit, suivant les consignes de leurs patrons, ont refoulé des clients d’origine kanak. Les sociétés de sécurité sont également appelées en renfort lors d’opérations sensibles, comme lors de la destruction des cases du Mwa Ka, en novembre 2012. Aux manettes des bulldozers : des employés – encagoulés – d’une entreprise de sécurité privée.
Le chiffre
1500. Ce serait le nombre d’agents de sécurité privée, qu’ils soient salariés d’une société, patentés ou employés dans le service interne de sécurité d’une grande entreprise. Mais ils pourraient être plus nombreux, certains étant déclarés sous une autre patente, d’autres œuvrant pour des sociétés aux activités diverses (logistique, terrassement) ou alors au noir.
Photo : Jacquotte Samperez
La fin du Far-West, Les Nouvelles Calédoniennes, 11 septembre 2015.

