Reportage dans les coulisses d’Emincenord
Par Aude Perron
C’est l’histoire d’un pari qui a été remporté haut la main. En 2009, quand Axel Aresky, grossiste à Voh, est approché par Catering International and Services (CIS) pour qu’il fournisse des légumes transformés, Vavouto commence tout juste à s’animer. Difficile de penser qu’à cet endroit, au pic de la construction de l’usine du Koniambo, on comptera six cantines qui serviront bien au delà de 10 000 repas chaque jour. Mais l’entrepreneur y croit et veut faire la démonstration que le nord a tout ce qu’il faut pour travailler pour l’industriel. Il lance Émincenord en finançant sur fonds propres un laboratoire de conditionnement. Opérationnelle au 1er décembre 2010, la petite entreprise produira, au plus fort de la construction, 5 tonnes de légumes par semaine. Aujourd’hui, la transformation rapporte encore quelque 8 millions de francs par mois, mais la démobilisation à Vavouto est bel et bien entamée et Axel Aresky sait qu’il doit se diversifier pour compenser la baisse de la demande de l’industriel pour ses produits : il a développé il y a deux mois une activité de surgélation et ses poches de légumes se retrouvent désormais dans les congélateurs des magasins de la zone VKP, prêts à être cuisinés. Et comme l’entrepreneur a encore d’autres idées derrière la tête, il semble que l’histoire d’Emincenord n’a pas fini de s’écrire.
- Des légumes à la tonne Chaque semaine, Axel Aresky reçoit plusieurs dizaines de tonnes de légumes. Des produits maraichers – carottes, oignons et autres choux – produits dans le nord et le sud ou alors importés de Nouvelle-Zélande ou d’Australie, quand la saison fait défaut. Quant aux produits vivriers – tarots, maniocs, ignames, etc. –, ils viennent des tribus environnantes. « Je peux monter jusqu’à Bondé (NDLR : Ouégoa) pour trouver des produits vivriers. Pendant le pic de la construction à Vavouto, j’allais même jusque dans les tribus de Pouébo », se rappelle l’entrepreneur. Il parvient à trouver des légumes toute l’année, mais avec les récentes intempéries, il s’attend à avoir des difficultés d’approvisionnement.
- Hygiène prioritaire C’est dans un laboratoire immaculé que les légumes sont conditionnés : épluchés, lavés, coupés et mis sous vide « dans une marche avant, pour respecter les règles du Sivap », précise Axel Aresky. Sans surprise, tablier, charlotte, bottes, gants sont de mise et le laboratoire est nettoyé entre chaque lot de légumes à traiter. A la sortie du laboratoire, les poches sous vide sont pesées, étiquetés et remises au froid en attendant d’être livrées à l’usine du Koniambo.
- Un duo gagnant C’est le couple emblématique derrière Emincenord. En quelques années, Axel et Lysiane qui travaillent ensemble depuis 26 ans, ont bâti une petite entreprise familiale qui tire son épingle du jeu dans le nord. Elle s’occupe de l’administration et traite avec les fournisseurs locaux. Lui, vadrouille entre le laboratoire et les livraisons, va chez les fournisseurs, traite au téléphone avec ceux de Nouvelle-Zélande et d’Australie. De bons vivants, au contact facile, mais aussi des bosseurs infatigables. Axel travaille depuis l’âge de 14 ans. « Quand un employé manque et qu’il faut prêter la main, on enfile les gants et les charlottes. On n’a pas peur », dit Lysiane.
- Une entreprise qui s’agrandit Les Aresky ont installé leur première entreprise, Sodipronord, dans un dock attenant à leur domicile, à Voh. L’entreprise de gros n’était constituée que deux chambres froides sur une surface de quelque 80 mètres carrés. Avec la création d’Emincenord il y a deux ans et demie, il s’est équipé d’un laboratoire de conditionnement aux normes, deux conteneurs réfrigérés et une chambre froide supplémentaire, équipements auxquels s’ajoutent un surgélateur et deux congélateurs. « Aujourd’hui, j’ai 200 mètres de dock », indique-t-il.
- Une équipe soudée Tous les employés sont originaires de Voh. Cinq jeunes femmes – toutes mamans – sont dédiées à l’activité de transformation. Les journées commencent à 6h pour se terminer à 16h et sont passées à travailler debout. Des conditions fatigantes mais les Aresky veillent au grain : pause de deux heures pour le déjeuner pendant laquelle les employés rentrent chez eux. Et le vendredi, la journée de travail se termine à… 9h30. « Et elle est payée dans sa totalité », précisent les patrons qui sont ravis que l’équipe est presque la même depuis les débuts d’Emincenord, alors que « la plupart des entreprises connaissent des taux de roulement importants de leurs employés. »
- Au rythme de l’épluchage Laver, éplucher, couper en morceaux : le rythme est soutenu. Les gestes, qui ont été répétés à l’envi, sont précis, sans appel. Une tête de chou est taillée en moins de 10 coups de couteau. Une carotte ? Pelée en 10 coups d’éplucheur manuel. D’ailleurs, trouver un bon outil de travail pour peler les légumes s’est avéré tout un casse-tête, aux débuts d’Emincenord. « Des éplucheurs professionnels ? Ca n’existe pas. Nous en avons enfin trouvé des bons en Nouvelle-Zélande », dit Axel Aresky qui en commande une soixantaine chaque année.
- Mise sous poche C’est la dernière étape du conditionnement réalisée dans le laboratoire : la mise sous vide des légumes dans des poches d’un kilo environ : oignons, carottes, chou, tarot ou autre pomme de terre, aucune variété n’y échappe. Dans ces conditions de conservation, le produit est protégé mais doit toutefois être consommé à l’intérieur d’une semaine, s’il n’a pas été surgelé.
- En gros ou au détail Difficile de parler d’Emincenord sans mentionner Sodipronord, l’activité de gros qu’Axel Aresky a fondé en 1992 et qui compte 3 employés. Car c’est au grossiste que CIS qui gère les cantines de Vavouto s’est adressé, en début 2009, pour qu’il lui fournisse des légumes transformés. C’est donc à la suite de cette demande qu’Emincenord a vu le jour, en décembre de l’année suivante. Les deux entreprises, complémentaires, il va sans dire, cohabitent sous le même toit, et mutualisent certains équipements, tels que les chambres froides et les camions de livraison.
- Prix fixes Particularité de l’affaire : c’est Emincenord qui fixe ses prix, à l’image des fromages coupés dont les grossistes de Nouméa approvisionnent les détaillants du territoire. Une poche d’un kilo de citrouille prête à l’emploi coûte donc 350 francs. « C’est pour que le prix de mes produits soit le même partout, peu importe le magasin, explique Axel Aresky. En échange, je fais une remise au client pour qu’il s’y retrouve. »
- Des surgelés locaux Pour pallier à la décrue annoncée à Vavouto et parce qu’il refuse de mettre à pied une seule de ses « filles », Axel Aresky a développé il y a deux mois une petite activité de surgélation. Coût de l’investissement : un surgélateur à 4 millions de francs commandé en Métropole, « qui a mis quatre mois à venir », précise l’entrepreneur. En un peu plus d’une heure, chaque morceau de légume est surgelé avec une température à cœur de -18 degrés. Les poches de légumes sont ensuite placées dans des congélateurs en attendant d’être livrées.
- Du bougna en pochon C’est une des plus récentes idées qu’on a eu chez Emincenord : la poche bougna surgelée. D’un poids variant entre 2,7 et 2,8 kilos, elle contient neuf légumes différents : tarot, igname, chouchoute, citrouille, etc, tous épluchés et débités en morceaux d’environ 300 grammes. « C’est du prêt à cuire, explique Axel Aresky. Tu jettes dans la marmite, tu ajoutes le lait de coco et voilà, tu as ton bougna. J’ai des clients mélanésiens qui m’ont dit que c’était comme le vrai bougna ! » Coût de la poche : environ 2000 francs.
- Prêt à consommer Les poches sous vide sont ensuite livrées dans les différents magasins de la zone VKP, comme ici à Koné Discount, chaque mardi. La petite activité de surgélation décolle bien car Emincenord livre déjà par semaine 500 à 600 kilos de légumes sous cette forme. Pour Axel Aresky, il y a une véritable demande pour des produits prêts à être consommés ou cuisinés. « Ca marche très bien. Ce qui me fait dire qu’Emincenord, c’est l’avenir, car les gens travaillent de plus en plus et ils n’ont plus le temps. Il faut tout leur préparer. » Et l’entrepreneur a déjà d’autres idées en tête pour les aider davantage…
Photos : A. P.
Le conditionnement de légumes à la patate, Votre Économie, août 2013













