Mercredi dernier, Luc Enoka Camoui a lancé « Duba, le chasseur de sons », un conte en français et jawé. Quatre ans de travail auquel une cinquantaine d’élèves de l’école de Yambé ont participé.
Par Aude Perron
Il y a quelque chose d’indéniablement attendrissant à regarder un enfant plongé dans un livre, le monde autour de lui devenu tout d’un coup inexistant. Cette scène s’est répétée à l’envi, mercredi dernier, sous le faré de l’école de Yambé, à Pouébo. L’auteur calédonien Luc Enoka Camoui, également directeur du petit établissement primaire de l’Alliance scolaire de l’église évangélique (ASEE), a donné une fête pour souligner le lancement de « Duba, le chasseur de sons ». Un moment on-ne-peut-plus à propos, en ce mois d’avril dédié au conte.
« Duba » – un battoir kanak en jawé – a été écrit par le poète-instituteur et illustré par les cycles 2 et 3 de son l’école. En tout, ce sont environ cinquante élèves qui, sur quatre ans, ont participé à la réalisation du livre-CD. Des efforts qui ont été soutenus, notamment, par la Defij, l’AFMI pour la mise en musique et l’Académie des Langues Kanak (ALK). En effet, il s’agit d’un ouvrage bilingue, en français et jawé, une des langues de l’aire Hoot Ma Whaap, parlée au sud de Pouébo, jusque dans certaines tribus de Hienghène.
« C’est un conte dans le registre des mythes fondateurs qui veut retracer la naissance du mouvement musical kaneka, explique Luc Camoui. C’est un projet d’école, mais c’est surtout un prétexte pour mobiliser les intelligences multiples des enfants. » Les intelligences multiples est une théorie de l’Américain Howard Gardner, datant du début des années 80, qui a travaillé sur des enfants en situation d’échec scolaire. Selon lui, un enfant possèderait une dizaine de formes d’intelligence : logico-mathématique, spatiale, corporelle, musicale, naturaliste, etc. Avec la production de « Duba », il va sans dire que la plupart ont été sollicitées. De plus, l’histoire a été mise en spectacle, présenté justement à l’occasion de la fête.
La vie de « Duba » ne fait que commencer. Déjà disponible en librairie et dans les médiathèques, le conte lauréat du concours Raconter et écrire ensemble, sera présenté au grand public lors de l’ouverture de la 11e Semaine du livre, à la Médiathèque de l’Ouest, à Koné, le 22 avril prochain. Quant aux élèves de la petite école de proximité à Yambé, à l’image de ce petit garçon qui traverse montagnes, rivières et vallées, attiré par des sons mystérieux en provenance du Mont Panié, ils vont poursuivre leur route scolaire. Mieux outillés grâce à « Duba », Luc Camoui en est persuadé : « L’enfant qui arrive à l’école est déjà imbu de savoirs culturels, pourtant, on essaie de négliger ces savoirs-là pour lui insuffler des savoirs exogènes, dans un cadre scolaire bien précis. Avec Duba, nous sommes partis de ce que l’enfant a. Cela le motive à entrer dans les apprentissages scolaires et lui permet de reconquérir son estime de soi car il devient acteur de son savoir. Un enfant qui est bien dans sa culture peut mieux s’approprier une autre culture. On peut alors augurer d’une bonne réussite à l’école. »
Légende : Élèves, parents et partenaires se sont vu remettre un exemplaire du livre-CD, dédicacé par les CM2 qui, il y a quatre ans, avaient donné à leur maître Luc l’idée de « Duba ».
Trois questions à Gilles Reiss, référent pédagogique à la Defij, Province Nord
Pourquoi la Province a-t-elle soutenu ce projet ?
Un des objectifs est d’obtenir des livres d’enfant réalisés par les enfants d’ici et leurs instituteurs pour développer une bibliothèque de classe qui parle de la nature, de ce qui fait l’enfant d’ici, de ce qui développe son ancrage culturel. Nous voulons développer une bibliothèque qui soit garante d’une assise de ces savoirs qui permettront à l’enfant de s’ouvrir à ce qui l’entoure.
Pourquoi « Duba » a-t-il été écrit dans deux langues ?
C’est justement un autre objectif de la Province. « Duba » a été écrit en langue française pour faire connaître l’ouvrage, mais aussi en jawé pour que les enfants apprennent à lire et à écrire leur propre langue. L’Académie des Langues Kanak (ALK) a le projet de créer un ouvrage de lecture en langue jawé. Cela veut dire qu’un jour, les enfants auront un livre pour s’entrainer à déchiffrer leur propre langue.
Le bilinguisme peut-il retarder l’apprentissage ?
C’est prouvé par l’expérience que les enfants qui sont parfaitement bilingues, c’est-à-dire les enfants qui ont été bien élevés dans leur langue maternelle, sont évidemment plus à l’aise pour apprendre les langues étrangères. On le retrouve au niveau du bac : ils s’en sortent mieux que les autres, même dans les autres domaines. Les enfants qui sont mal éduqués dans leur langue maternelle ou mal éduqués en français ont des carences en lecture et écriture. C’est donc faire oeuvre de réussite scolaire que de développer le bilinguisme dans ce pays.
Photo : A. P.
Yambé double son conte, Les Nouvelles Calédoniennes, 16 avril 2014.

